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Veille juridique
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Arrêt de la Cour d’Appel en date du 08 février
2013 portant sur le choix de
son lieu de résidence par
un majeur protégé placé sous le régime
de la
curatelle renforcée
- Madame X a été placée sous curatelle
renforcée le 23 septembre 2010.
Une association tutélaire a été désignée
curateur par le Juge des Tutelles.
- Par requête en date du 14 février 2012, Madame
X demande au Juge des Tutelles l'autorisation de quitter
le foyer où elle réside pour s'installer dans
une maison qu'elle possède en indivision avec sa
mère, cette dernière étant placée
en EHPAD (Etablissement d’Hébergement pour
Personnes Agées Dépendantes).
- Le médecin psychiatre de madame X indique dans
deux certificats que l'état de santé de la
requérante est incompatible avec un retour dans un
logement individuel.
De plus, il précise que l’état de sa
patiente nécessite une structure suffisamment “contenante”
afin d'éviter toute déviance du comportement
et une mise en danger de cette dernière.
- La curatrice partage l'avis médical, estimant le
retour à domicile non envisageable à ce jour,
mais constate que Madame X vit mal ses différences
avec les autres résidents du foyer, car elle est
jeune et ne peut se projeter dans un avenir à long
terme dans cette résidence.
- Lors de son audition par le Juge des Tutelles le 24 septembre
2012, Madame X confirme sa volonté de retourner vivre
à domicile ; elle ne veut pas rester en maison de
retraite où elle affirme n'avoir aucun contact avec
les autres résidents plus âgés qu'elle.
- Par ordonnance du 28 septembre 2012, le Juge des Tutelles
rejette la requête en vue d'un changement de domicile
de Mme X, ce en raison des deux certificats médicaux
et des inquiétudes quant à la santé
du majeur protégé.
- Madame X fait appel par courrier recommandé du
11 octobre 2012.
- La Cour d’Appel infirme la décision du Juge
des Tutelles.
- Motifs de cette décision :
• L'article 459-2 du code civil dispose que "La
personne protégée choisit le lieu de sa résidence.
Elle entretient librement des relations personnelles avec
tout tiers, parent ou non. Elle a le droit d'être
visitée et, le cas échéant, hébergée
par ceux-ci. En cas de difficulté, le juge ou le
conseil de famille s'il a été constitué
statue.”
• Cet article consacre expressément le principe
du libre choix par la personne protégée de
son lieu de résidence, ce qui implique également
la liberté d'en changer. Il ne peut être porté
atteinte à ce principe que par le juge, saisi en
cas de “difficulté”.
• Or, force est de constater qu'en l'espèce,
la personne protégée a saisi le juge des tutelles
d'une requête aux fins d'être autorisée
à quitter son lieu d'hébergement actuel pour
s'installer dans la maison qu'elle possède en indivision
avec sa mère située à Z.
• Préalablement à cette saisine, aucune
difficulté n'a été constatée
ni par l'association curatrice, ni par un tiers, ni par
le juge, la requérante étant totalement valide,
disposant d'un logement personnel vacant et peu coûteux
et étant en mesure d'expliciter avec discernement
les raisons de son choix de vouloir vivre ailleurs qu'en
maison de retraite.
• Le curateur lors des débats devant la cour,
et le médecin dans le contenu des 2 certificats rédigés
par lui, font en réalité prévaloir
un principe de précaution, considérant que
le risque d'une “rechute” de Madame X serait
limité du fait de sa résidence “dans
une structure contenante”.
• Une telle approche, si elle peut paraître
légitime de la part du curateur et du médecin
au regard du passé récent de Madame X, ne
permet pas, en l'absence de toute difficulté effectivement
constatée et avérée, de porter atteinte
au droit de la personne protégée de choisir
son lieu de vie, sauf à instaurer un régime
d'autorisation préalable du juge dans toute situation
de retour à domicile présentant un risque
potentiel pour la santé de la personne protégée
; or, tel n'est ni l'esprit, ni la lettre de la loi.
• Au surplus, en l'espèce, Madame X est placée
en curatelle renforcée, régime qui, s'agissant
de la protection de la personne, n'implique en principe
qu'une simple assistance dans les actes personnels, et suppose
que la personne dispose du discernement suffisant pour poser
et assumer ses choix personnels.
Il convient donc d'infirmer l'ordonnance déférée
et de dire n'y avoir lieu à autorisation, Madame
X pouvant, en l'état, librement choisir son lieu
de résidence et en changer.
COUR D'APPEL
DE DOUAI
Chambre de la Protection Juridique
des Majeurs et Mineurs
N° RG : 12/ 06650
NOTIFICATION
de l'arrêt aux parties
par lettre recommandée avec avis de réception
adressée le :
République Française
Au nom du Peuple Français
ARRÊT DU 08 FEVRIER 2013 MINUTE N° 15/ 13
APPELANTE :
Madame Josette X...
LE FOYER LOGEMENT LES SAPINS BLEUS
... 59840 PERENCHIES
Comparante en personne
AUTRES PARTIES INTERVENANTES :
Association ARIANE
14 AVENUE ROBERT SCHUMAN BP 80074
59370 MONS EN BAROEUL
Comparante, représenté de M. Y...Philippe,
délégué
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Thierry VERHEYDE, Conseiller délégué
à la protection des majeurs, faisant fonction de
Président, désigné suivant ordonnance
du Premier Président de la Cour d'appel de DOUAI
en date du 19 décembre 2012
Marie-Charlotte DALLE, Mathilde VALIN, Conseillers,
Philippe LEMOINE, Greffier présent aux débats
et au prononcé de l'arrêt,
Les débats ont eu lieu en Chambre du Conseil à
l'audience du 17 Janvier 2013, au cours de laquelle Marie-Charlotte
DALLE a été entendue en son rapport.
Le dossier a été communiqué avant l'audience
des débats au Ministère Public près
la Cour d'appel de DOUAI, qui a également été
avisé de la date de cette audience, à laquelle
il n'a pas comparu.
A l'issue des débats, le président a avisé
les parties présentes que l'arrêt serait prononcé
par sa mise à disposition au greffe de la Cour d'Appel
de Douai à la date du 08 FEVRIER 2013.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé hors la présence
du public par sa mise à disposition au greffe de
la Cour d'appel, les parties ayant été préalablement
avisées dans les conditions prévues par l'article
450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Par jugement du 23 septembre 2010, le juge des tutelles
du tribunal d'instance de LILLE a placé Josette X...,
née le 7 juin 1950, en curatelle renforcée
et désigné l'association ARIANE pour exercer
les fonctions de curatrice.
Cette mesure de protection était fondée sur
le constat d'une altération de ses facultés
mentales en raison de la détérioration intellectuelle
secondaire à la consommation de boissons alcooliques,
ainsi que cela résulte du certificat médical
circonstancié établi par le docteur ELIA le
24 février 2010. Le procureur de la République
avait saisi le juge des tutelles à la suite d'un
signalement de l'EPSM de LILLE.
Par requête datée du 14 février 2012,
Josette X...demande au juge des tutelles l'autorisation
de quitter le foyer où elle réside pour s'installer
dans la maison située à Lambersart. qu'elle
possède en indivision avec sa mère, celle-ci
étant placée désormais en EHPAD.
Le docteur A..., psychiatre à l'EPSM, indique dans
un certificat du 17 févier 2012 que l'état
de santé de la requérante n'est pas compatible
avec une orientation dans un logement individuel. Le médecin
précise que celle-ci nécessite une structure
suffisamment “ contenante ” afin d'éviter
toute déviance du comportement et une mise en danger
de la patiente.
L'association ARIANE précise, dans une note du 16
mars 2012, que Josette X...vit au foyer les Sapins bleus
à PERENCHIES, qu'elle a accepté d'intégrer
de façon définitive en août 2011. Elle
était auparavant locataire d'un logement dont elle
avait été expulsée suite à des
difficultés de santé et à un laisser-aller
; elle avait alors intégré la maison de sa
mère, puis a été hospitalisée
en urgence à la suite d'une alcoolsation massive.
Josette X...est décrite comme consciente de son problème
d'alcool et reste psychologiquement fragile. La curatrice
partage l'avis médical, estimant le retour à
domicile non envisageable à ce jour, mais constate
que Josette X...vit mal ses différences avec les
autres résidents du foyer, car elle est jeune et
ne peut se projeter dans un avenir à long terme dans
cette résidence.
Le docteur A...certifie à nouveau, le 5 septembre
2012, que l'état de santé de la requérante
n'est pas compatible avec un retour en domicile individuel.
Lors de son audition par le juge des tutelles le 24 septembre
2012, Josette X...confirme sa volonté de retourner
vivre à domicile ; elle ne veut pas rester en maison
de retraite où elle n'a aucun contact avec les gens
dont, selon elle, les trois quarts sont en fauteuil roulant,
la moyenne d'âge étant de 80 ans. Elle estime
que cela lui coûte cher. Dans sa maison, elle n'aurait
pas de loyer à payer. Si elle ne rentre pas chez
elle, son fils déposera plainte. Elle ne comprend
pas que l'on s'occupe de ses affaires ; elle n'a rien demandé
et indique qu'il y a plein de personne qui sont alcooliques
et dont on ne s'occupe pas.
Par ordonnance du 28 septembre 2012, le juge des tutelles
du tribunal d'instance de LILLE a rejeté la requête
en vue d'un changement de domicile présentée
par Mme X....
Le juge relève les éléments suivants
à l'appui de sa décision :
- les inquiétudes de l'association ARIANE,
- les deux certificats médicaux,
- le caractère prématuré de la demande
au regard de son état de santé et du processus
de soin et de l'accompagnement vers l'autonomie,
- la nécessité pour Josette X...de démontrer
son aptitude à l'autonomie dans les actes de la vie
quotidienne.
Par courrier recommandé du 11 octobre 2012, Josette
X...a relevé appel de l'ordonnance.
Toutes les parties ont signé l'accusé de réception
de leur convocation devant la cour.
Le dossier a été communiqué au ministère
public.
Lors de l'audience d'appel, Josette X...soutient son appel
: elle ne veut plus vivre dans la maison de retraite où
ne résident que des personnes beaucoup plus âgées
qu'elle ; elle y est très seule et ne s'estime pas
plus en sécurité là que chez elle.
Le représentant de l'association ARIANE demande la
confirmation de l'ordonnance, faisant valoir les éléments
des deux certificats médicaux.
MOTIFS DE LA DECISION
L'article 459-2 du code civil dispose que :
“ La personne protégée choisit le lieu
de sa résidence.
Elle entretient librement des relations personnelles avec
tout tiers, parent ou non. Elle a le droit d'être
visitée et, le cas échéant, hébergée
par ceux-ci.
En cas de difficulté, le juge ou le conseil de famille
s'il a été constitué statue. ”
Cet article consacre expressément le principe du
libre choix par la personne protégée de son
lieu de résidence, ce qui implique également
la liberté d'en changer. Il ne peut être porté
atteinte à ce principe que par le juge, saisi en
cas de “ difficulté ”.
Or, force est de constater qu'en l'espèce, la personne
protégée a saisi le juge des tutelles d'une
requête aux fins d'être autorisée à
quitter son lieu d'hébergement actuel pour s'installer
dans la maison qu'elle possède en indivision avec
sa mère située à Lambersart. Préalablement
à cette saisine, aucune difficulté n'a été
constatée ni par l'association curatrice, ni par
un tiers, ni par le juge, la requérante étant
totalement valide, disposant d'un logement personnel vacant
et peu coûteux et étant en mesure d'expliciter
avec discernement les raisons de son choix de vouloir vivre
ailleurs qu'en maison de retraite.
Le curateur lors des débats devant la cour, et le
médecin dans le contenu des deux certificats rédigés
par lui, font en réalité prévaloir
un principe de précaution, considérant que
le risque d'une “ rechute ” de Josette X...dans
la consommation d'alcool serait limité du fait de
sa résidence “ dans une structure contenante
”.
Une telle approche, si elle peut paraître légitime
de la part du curateur et du médecin au regard du
passé récent de Josette X..., qui ne nie nullement
son alcoolisation massive à l'origine de son hospitalisation,
à la suite de laquelle elle avait accepté
de résider en maison de retraite, ne permet pas,
en l'absence de toute difficulté effectivement constatée
et avérée, de porter atteinte au droit de
la personne protégée de choisir son lieu de
vie, sauf à instaurer un régime d'autorisation
préalable du juge dans toute situation de retour
à domicile présentant un risque potentiel
pour la santé de la personne protégée
; or, tel n'est ni l'esprit, ni la lettre de la loi.
Au surplus, en l'espèce, Josette X...est placée
en curatelle renforcée, régime qui, s'agissant
de la protection de la personne, n'implique en principe
qu'une simple assistance dans les actes personnels, et suppose
que la personne dispose du discernement suffisant pour poser
et assumer ses choix personnels.
Il convient donc d'infirmer l'ordonnance déférée
et de dire n'y avoir lieu à autorisation, Josette
X...pouvant, en l'état, librement choisir son lieu
de résidence et en changer.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Par arrêt contradictoire :
Infirme l'ordonnance déférée rendue
par le juge des tutelles du tribunal d'instance de LILLE
le 28 septembre 2012 et, statuant à nouveau :
- dit n'y avoir lieu à soumettre à autorisation
préalable le choix de son lieu de résidence
par Josette X..., ni à autoriser ou non celle-ci
à quitter le foyer logement “ les sapins bleus
” à PERENCHIES où elle réside
actuellement,
- rappelle que Josette X...est, en l'état, libre
de choisir son lieu de résidence et d'en changer
;
- laisse les dépens à la charge du Trésor
public.
Le greffier, Le président,
Philippe LEMOINE Thierry VERHEYDE
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